Davy Sicard – « Kafé Griyé » : Une ode sensuelle au Séga péi

KAFÉ GRIYÉ
Nouvel album
Chanson Séga-Maloya
La Réunion

Cinq ans après « Bal Kabar », Davy Sicard revient avec un album mettant entièrement à l’honneur le Séga réunionnais. Un délicieux voyage sensoriel au cœur de la tradition musicale créole, dont l’artiste exalte les parfums les plus raffinés avec l’audace qui le caractérise.

Du Maloya kabosé au Séga assumé

Dans la continuité du précédent opus, voué à explorer pour la première fois les possibilités d’un Séga nouvo, ce septième cru plonge aux racines mêmes du Séga péi : terriennes, lascives et élégantes. À l’instar d’une bonne tasse de café grillé dans la plus pure tradition créole.
Mais Davy ne délaisse pas pour autant le Maloya mêlé d’accents modernes qui a fait sa renommée. « Kafé Griyé », en renouant avec les origines profondément africaines du Séga, fait remonter des rythmes ternaires, des arômes oubliés et un soupçon de révolte. Le tout au son du Rouler tantôt enjoué, tantôt mélancolique.

Tous deux créés par les esclaves, Séga et Maloya ont toutefois connu deux destins presque opposés, intimement liés à l’histoire socio-politique des Mascareignes.
Le Séga, premier nom donné à la musique des Noirs à La Réunion, évolue au fil des époques pour adopter des teintes plus européennes. Il égaie les fêtes de la bonne société de l’époque, se pare de couleurs et de légèreté. Il est associé malgré lui aux milieux privilégiés et conservateurs, aux bals et autres rassemblements conviviaux.
Au Maloya, on réserve la solitude, l’ombre, la clandestinité, les fonnker et les kabar où brillent les flammes noires de peines et de colères trop crues pour supporter la contrainte des salons et autres souliers vernis. Le Maloya se danse pieds nus, devient musique de revendicateurs, d’insoumis.
Une opposition tacite entre ombre et lumière.

Militant dans l’âme, Davy Sicard a souhaité raviver la racine commune de ces deux musicalités pour les concilier. À travers l’ambition d’un Séga à la fois novateur et authentique : léger tel une caresse, aussi fort qu’un baiser.

« Kafé Griyé », le goût voluptueux de la tradition

S’il est un sujet qui rassemble tout le monde, c’est bien l’amour.
Dans « Kafé Griyé », ce thème cher au cœur de l’artiste est décliné sous toutes ses formes.
Déclarations, romances contrariées et autres émois amoureux bien sûr (Kafé griyé, Na riyink aou, Fiy maler, Tanto, La pli-la i vyin, Sé là), passions interdites (Aswar pou nou briyé)…
Mais aussi amour des autres (Lot laba, La Bonanouvel), de soi (Kapitenn, Kwek sé sa), du pays et de la liberté (Lamannman-la), de la vie malgré le temps qui parfois efface (Mi ve pa oubliyé)…

Au-delà des sujets explorés, « Kafé Griyé » laisse sur la langue une saveur à la fois douce et piquante de fruit défendu, de paradis perdu. Le parti pris est en effet celui d’une sensualité assumée et empreinte d’élégance.
Car ce nouveau « Kafé Griyé » ne saurait se contenir dans une tasse bien confortablement lovée entre deux mains domestiquées : il déborde en philtre d’amour, fortifiant puissant, breuvage aphrodisiaque pour inspirer aux hanches des chorégraphies langoureuses, donner envie de casser l’armoire, enflammer la piste et, pourquoi pas, mettre le feu aux poudres.

Davy nous rappelle ainsi avec un brin de malice que le Séga vient aussi des tripes. Ce chant d’amour sophistiqué touche l’âme, émeut les corps autant que les cœurs, et allume bien des étincelles sous les paletots empesés et les cheveux gominés.
Le chanteur et musicien réunionnais confirme une fois de plus son penchant pour les héritages revisités avec grâce, signant sans doute là sa plus belle déclaration d’amour au patrimoine musical réunionnais.

Le message qu’en retiendra son auditoire, aux quatre coins du monde et de l’océan Indien ? Sans doute qu’à l’instar d’un bon kafé griyé lontan, rien n’a meilleur goût que l’authenticité : riche comme la terre volcanique d’où jaillit le café, robuste comme les mains qui l’ont jadis planté, suave tel le parfum de ses grains. Et amoureusement mûrie au soleil de La Réunion.

« Kafé Griyé », comme une invitation à savourer la créolité sublimée.

Xuân DUCANDAS.

* Maloya : Musique héritée des esclaves et aujourd’hui classée au patrimoine immatériel de l’Unesco

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